2429

        Anonyme
       (sur l'Ascension)
L’Ascension nous apprend d’abord à ne pas mettre la main sur Jésus. Le Christ échappe aux disciples, il échappe aussi à nos mainmises possessives et égoïstes. S’il esquive ainsi nos griffes, c’est pour nous obliger à croire en sa nouvelle manière d’être présent. L’Ascension nous découvre le sens profond de l’Eucharistie. Jésus n’a plus à être à nos côtés puisqu’il veut être en nous. Il n’a plus à être notre compagnon de route, puisqu’il est notre force pour marcher. Il n’a plus à être un copain que l’on peut embrasser et toucher, puisqu’il devient notre vie. Il n’a plus à être vu puisqu’il devient notre regard. Il n’a plus à être notre ami puisqu’il est devenu notre force d’aimer. Il n’a plus à être notre interlocuteur, puisqu’il est devenu notre parole, plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Jésus monté aux cieux, nous plante solidement en terre. Nous sommes, désormais, son unique présence auprès de nos frères. Louis Evely disait : “Dieu nous laisse entre hommes. Pas moyen de le rencontrer autrement que par l’homme. Dieu est intérieur à l’homme et ne peut se manifester que par chacun d’entre nous. L’homme est donc seul responsable du silence ou de l’absence apparente de Dieu.”  Accueillons la joyeuse mission qui nous est donnée. « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création... ».L’Ascension du Seigneur est l’achèvement de son Incarnation. Saint Athanase, rappelait avec force que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu.» Par la venue du Fils de Dieu dans le monde, c’est tout le cosmos, tout le monde des vivants et tout le peuple des humains qui sont épousés par Dieu. En rentrant dans le sein du Père, mais avec tout son poids de chair et d’humanité, Jésus nous divinise. Il nous fait partager l’amour de Dieu. Le pape saint Léon écrit cette phrase lumineuse : « L’Ascension du Christ est notre promotion. » Dans ce grand corps que forme le Christ total, la tête est déjà dans les cieux. Les membres bénéficient déjà de ce bonheur divin dans laquelle elle baigne. C’est la fête de l’espérance. Car là où la tête est passée, là aussi le corps tout entier passera.
L'Ascension du Seigneur - Giotto di Bondone (1266 ou 1267 - 1337 à Florence (Italie) 

2428

        Saint Athanase
       (de l'Incarnation du Verbe - n°20)
« Le corps du Christ était de même substance que celui de tous les hommes, c'était un corps humain, et bien que par un nouveau prodige il fût issu de la vierge seule, il était cependant mortel, et il est mort selon le sort commun à ses semblables. Mais à cause de la venue en lui du Verbe, il n'était plus soumis à la corruption comme le voulait sa propre nature ; par la présence en lui du Verbe de Dieu, il était étranger à la corruption. Ainsi deux prodiges se rencontrent dans le même être : la mort de tous s'accomplissait dans le corps du Seigneur, et d'autre part la mort et la corruption étaient détruites par le Verbe qui habitait en ce corps (1). La mort était nécessaire, et il fallait qu'il mourût pour tous, pour payer la dette de tous. Aussi, comme je l'ai déjà dit, puisque le Verbe ne pouvait mourir lui-même, - il était immortel, - il prit un corps capable de mourir, afin de l'offrir pour tous comme son bien propre, et, souffrant lui-même pour tous dans ce corps où il était venu, de réduire à rien le maître de la mort, c'est-à-dire le diable, et "délivrer ceux qui par crainte de la mort, étaient leur vie durant assujettis à l'esclavage" (Hébr., II, 15). 

2427

        Xavière, Geneviève Comeau
         ( Xavière, Geneviève Comeau est enseignante au Centre Sèvres (Facultés jésuites de Paris). Co-auteur de Le pari de l’espérance (Lessius 2016) - Extrait d'une interview diffusée par le journal numérique la Croix du 22 avril 2020)
"Le tombeau vide me parle beaucoup. L’espérance, c’est quand la pierre qui bouche l’avenir est roulée. Le tombeau est vide – ce n’est pas là qu’il faut chercher Jésus – et en même temps il est ouvert. Les femmes au tombeau sont des disciples de la première heure. (...) Elles ont suivi Jésus jusqu’au bout dans une fidélité incroyable. Quand, le matin, elles viennent voir le tombeau, il y a en elles comme une supplication muette : « Que même la mort ne me sépare pas de Toi. » L’ange leur annonce la résurrection de Jésus et les envoie vers les autres. Et c’est alors qu’elles se trouvent en chemin, en route, que leur prière est exaucée : Jésus vient à leur rencontre. 
Dans nos manières de vivre, il y a sûrement des lieux où nous nous rétrécissons, où nous perdons courage. L’ange nous invite à nous détourner de ces lieux tout en restant dans notre situation de confinement. La liberté extérieure est réduite. C’est le moment de cultiver notre liberté intérieure et d’y être vigilants. Quand je sens que mon horizon intérieur s’assombrit et se rétrécit, ne pas m’y complaire. Résister pour ne pas m’y laisser enfermer. C’est nécessaire tous les jours, et parfois, plusieurs fois par jour. Cette ascèse n’est pas du volontarisme. Il ne s’agit pas d’être crispé mais de demander au Seigneur de nous aider à avoir cette liberté intérieure. L’espérance nous invite à faire un premier pas intérieur avec cette audace confiante qui ouvre dans la mer un passage. 
Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. » J’ai perdu une amie très chère dans ce contexte du Covid-19. Bien sûr, je n’ai pas pu me rendre à son enterrement. Mais j’ai pu assister à sa retransmission par Internet. Le début de la célébration était très difficile à vivre pour moi. Et peu à peu, j’ai senti un apaisement. Le rituel de la liturgie, l’écoute de la Parole de Dieu me donnaient la paix. Dans ce temps de confinement, peut-être que l’espérance est liée à cette paix intérieure donnée pour accepter ce que nous ne pouvons pas changer. Car nous avons aussi à discerner ce que nous ne pouvons pas changer, et ce contre quoi nous devons lutter et résister pour laisser le passage ouvert."
 

2426

        Xavière, Geneviève Comeau
         ( Xavière, Geneviève Comeau est enseignante au Centre Sèvres (Facultés jésuites de Paris). Co-auteur de Le pari de l’espérance (Lessius 2016) - Extrait d'une interview diffusée par le journal numérique la Croix du 22 avril 2020)
"Il faut distinguer l’espoir de l’espérance. L’espoir, c’est espérer quelque chose : « J’espère que le confinement va s’arrêter bientôt, j’espère que je pourrai en sortir saine et sauve… » Le philosophe Gabriel Marcel disait que, dans l’espérance, le verbe espérer se conjugue de manière intransitive : « J’espère. » C’est pourquoi, l’espoir a un objet tandis que l’espérance est plutôt un mouvement. Elle ne se définit pas par son contenu. L’espérance a la capacité de voir ce que l’on ne voit pas encore et qui n’est pas de l’ordre de la prédiction. Elle n’oriente pas vers un futur dont je dessine les contours à l’avance, mais elle ouvre le réel à de nouveaux possibles, à de l’inattendu. C’est un passage." 

2425

        pape François
         ( Homélie du 21 avril 2020, à sainte Marthe - sur l'écoute, les divisions dans une communauté)
« Naître d’en haut » (Jn 3,7), c’est naître avec la force de l’Esprit Saint. Nous ne pouvons pas prendre l’Esprit Saint pour nous ; nous pouvons seulement le laisser nous transformer. Et notre docilité ouvre la porte à l’Esprit Saint : c’est lui qui fait le changement, la transformation, cette renaissance d’en haut. C’est la promesse de Jésus d’envoyer l’Esprit Saint (cf. Ac 1,8). L’Esprit Saint est capable de faire des merveilles, des choses que nous ne pouvons même pas imaginer.
Cette première communauté chrétienne en est un exemple ; ce n’est pas de l’imagination, ce qu’on nous dit ici : c’est un modèle, auquel on peut arriver avec de la docilité et en laissant entrer l’Esprit Saint qui nous transforme. Une communauté – disons-le ainsi – « idéale ». Il est vrai qu’aussitôt après cela, des problèmes vont commencer, mais le Seigneur nous montre jusqu’où nous pourrions arriver si nous sommes ouverts à l’Esprit Saint, si nous sommes dociles. Dans cette communauté, il y a l’harmonie (cf. Ac 4,32-37). L’Esprit Saint est le maître de l’harmonie, il est capable de la faire et il l’a faite ici. Il doit la faire dans notre coeur, il doit changer beaucoup de choses en nous, mais faire l’harmonie : parce qu’il est lui-même l’harmonie. Et aussi l’harmonie entre le Père et le Fils : il est l’amour d’harmonie. Et avec l’harmonie, il crée ces choses, comme cette communauté si harmonieuse. Mais ensuite, l’histoire – ce même Livre des Actes des apôtres – nous parle de beaucoup de problèmes dans la communauté. C’est un modèle : le Seigneur a permis ce modèle d’une communauté presque « céleste », pour nous montrer où nous devrions arriver.
Mais ensuite commencent les divisions dans la communauté. Au second chapitre de sa Lettre, l’apôtre Jacques dit : « dans votre foi… n’ayez aucune partialité envers les personnes » (Jc 2,1) : parce qu’il y en avait ! « Ne faites pas de différences » : les apôtres doivent sortir pour avertir. Et dans la première Lettre aux Corinthiens, au chapitre 11, Paul se plaint : « J’entends dire que, parmi vous, il y a des divisions » (cf. 1 Cor 11,18) : il commence à y avoir des divisions internes dans les communautés. Il faut arriver à cet « idéal », mais ce n’est pas facile : il y a beaucoup de choses qui divisent une communauté, que ce soit une communauté chrétienne paroissiale ou diocésaine, ou de prêtres, ou de religieux ou religieuses… beaucoup de choses entrent pour diviser la communauté.
En voyant quelles sont les choses qui ont divisé les premières communautés chrétiennes, j’en trouve trois : d’abord, l’argent. Quand l’apôtre Jacques dit cela, de ne pas être partial entre les personnes, il donne un exemple : parce que « si, dans votre assemblée, arrive un homme portant une bague en or, aussitôt vous le conduisez devant et le pauvre, vous le laissez de côté » (cf. Jc 2,2). L’argent. Paul dit aussi la même chose : « Les riches apportent leur repas et mangent, eux, et les pauvres, debout » (cf. 1 Cor 11,20-22), nous les laissons là comme si nous leur disions : « Débrouille-toi comme tu peux ». L’argent divise, l’amour de l’argent divise la communauté, divise l’Église.
Très souvent, dans l’histoire de l’Église, là où il y a des déviations doctrinales – pas toujours, mais très souvent – derrière, il y a l’argent : l’argent du pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir politique ou d’argent liquide, mais l’argent. L’argent divise la communauté. C’est pourquoi la pauvreté est la mère de la communauté, la pauvreté est le mur qui garde la communauté. L’argent divise, l’intérêt personnel. Y compris dans les familles : combien de familles ont fini divisées pour une question d’héritage ? Combien de familles ? Et on ne se parle plus… Combien de familles… Un héritage. Cela divise : l’argent divise.
Autre chose qui divise une communauté : la vanité, cette volonté de se sentir meilleur que les autres. « Je te remercie, Seigneur, parce que je ne suis pas comme les autres » (cf. Lc 18,11), la prière du pharisien. La vanité, sentir que je… Et aussi la vanité de me faire voir, la vanité dans les habitudes, dans la manière de s’habiller : bien souvent – pas toujours, mais bien souvent – la célébration d’un sacrement est un exemple de vanité, celui qui s’y rend le mieux habillé, celui qui fait ceci, et cet autre… La vanité… pour la fête la plus grande… La vanité entre aussi là-dedans. Et la vanité divise. Parce que la vanité te pousse à faire le paon et là où il y a un paon, il y a la division, toujours.
Une troisième chose qui divise une communauté, ce sont les cancans : ce n’est pas la première fois que je le dis, mais c’est la réalité. C’est la réalité. Cette chose que le diable met en nous, comme un besoin de dire du mal des autres. « Mais quelle bonne personne !… – Oui, oui, mais… » : aussitôt le « mais » : c’est une pierre pour disqualifier l’autre et aussitôt je dis quelque chose que j’ai entendu, et ainsi j’abaisse un peu l’autre.
Mais l’Esprit vient toujours avec sa force pour nous sauver de cette mondanité de l’argent, de la vanité et des cancans, parce que l’Esprit n’est pas le monde : il est contre le monde. Il est capable de faire ces miracles, ces grandes choses.
Demandons au Seigneur cette docilité à l’Esprit pour qu’il nous transforme et transforme nos communautés, nos communautés paroissiales, diocésaines ou religieuses : qu’il les transforme, pour que nous avancions toujours dans l’harmonie que veut Jésus pour la communauté chrétienne.

2424

        Sainte Faustine Kowalska
         ( Jésus à soeur Faustine - Journal, 24 décembre 1937 - cité par le pape François dans son homélie du 19 avril 2020, Dimanche de la Miséricorde )
sainte Faustine s’est plainte un jour à Jésus qu’en étant miséricordieux on passe pour un naïf. Elle a dit :  
« Seigneur, on abuse souvent de ma bonté ».  
Et Jésus a répondu :  
« Peu importe, ma fille, ne t’en soucie pas, toi, sois toujours miséricordieuse envers tout le monde »

2423

        Sainte Faustine Kowalska
         ( Jésus à soeur Faustine - Journal, 6 septembre 1937 - cité par le pape François dans son homélie du 19 avril 2020, Dimanche de la Miséricorde )
« Dans une âme souffrante, nous devons voir Jésus crucifié et non un parasite et un poids… [Seigneur], tu nous donnes la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde et nous nous livrons à des jugements » 

2422

        Sainte Faustine Kowalska
         ( Jésus à soeur Faustine - Journal, 10 octobre 1937 - texte prononcé par le pape François dans son homélie du 19 avril 2020, Dimanche de la Miséricorde )
 Une fois, la Sainte a dit à Jésus, avec satisfaction, d’avoir offert toute sa vie, tout ce qu’elle possédait. Mais la réponse de Jésus l’a bouleversée :        « Tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment ». Qu’est-ce que cette sainte religieuse avait gardé pour elle ? Jésus « lui dit avec douceur » : ‘‘Ma fille, donne-moi ta misère’’ » 

2421

        Sainte Faustine Kowalska
         ( Jésus à soeur Faustine - Journal, 14 septembre 1937 )
 « Je suis l’amour et la miséricorde même ; il n’est pas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde »

2420

        pape François
         ( Homélie du 19 avril 2020 - 2ème Dimanche de Pâques - Dimanche de la Miséricorde Thomas/ la miséricorde)
Dimanche dernier, nous avons célébré la résurrection du Maître. Aujourd’hui, nous assistons à la résurrection du disciple. Une semaine s’est écoulée, une semaine que les disciples, bien qu’ayant vu le Ressuscité, ont passée dans la peur, « les portes verrouillées » (Jn 20, 26), sans même réussir à convaincre de la résurrection l’unique absent, Thomas. Que fait Jésus face à cette incrédulité craintive ? Il revient, il se met dans la même position, « au milieu » des disciples et répète la même salutation : « La paix soit avec vous !» (Jn 20, 19.26). Il recommence tout depuis le début. 
La résurrection du disciple commence ici, à partir de cette miséricorde fidèle et patiente, à partir de la découverte que Dieu ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever de nos chutes. Il veut que nous le voyions ainsi : non pas comme un patron à qui nous devons rendre des comptes, mais comme notre Papa qui nous relève toujours. Dans la vie, nous avançons à tâtons, comme un enfant qui commence à marcher mais qui tombe. Quelques pas et il tombe encore ; il tombe et retombe, et chaque fois le papa le relève. La main qui nous relève est toujours la miséricorde : Dieu sait que sans miséricorde, nous restons à terre, que pour marcher, nous avons besoin d’être remis debout. Et tu peux objecter : ‘‘Mais je ne cesse jamais de tomber !’’. Le Seigneur le sait et il est toujours prêt à te relever. Il ne veut pas que nous repensions sans arrêt à nos chutes, mais que nous le regardions lui qui, dans les chutes, voit des enfants à relever, dans les misères voit des enfants à aimer avec miséricorde. 
Aujourd’hui, dans cette église devenue sanctuaire de la miséricorde à Rome, en ce dimanche que saint Jean-Paul II a consacré à la Miséricorde Divine il y a vingt ans, accueillons avec confiance ce message. Jésus a dit à sainte Faustine : « Je suis l’amour et la miséricorde même ; il n’est pas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde » (Journal, 14 septembre 1937). Une fois, la Sainte a dit à Jésus, avec satisfaction, d’avoir offert toute sa vie, tout ce qu’elle possédait. Mais la réponse de Jésus l’a bouleversée : « Tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment ». Qu’est-ce que cette sainte religieuse avait gardé pour elle ? Jésus « lui dit avec douceur » : ‘‘Ma fille, donne-moi ta misère’’ » (10 octobre 1937). Nous aussi, nous pouvons nous demander : ‘‘Ai-je donné ma misère au Seigneur ? Lui ai-je montré mes chutes afin qu’il me relève ?’’ Ou alors il y a quelque chose que je garde encore pour moi ? Un péché, un remords concernant le passé, une blessure que j’ai en moi, une rancœur envers quelqu’un, une idée sur une certaine personne… Le Seigneur attend que nous lui apportions nos misères, pour nous faire découvrir sa miséricorde. 
Revenons aux disciples ! Ils avaient abandonné le Seigneur durant la passion et ils se sentaient coupables. Mais Jésus, en les rencontrant, ne fait pas de longues prédications. À eux qui étaient blessés intérieurement, il montre ses plaies. Thomas peut les toucher et il découvre l’amour ; il découvre combien Jésus avait souffert pour lui qui l’avait abandonné. Dans ces blessures, il touche du doigt la proximité amoureuse de Dieu. Thomas, qui était arrivé en retard, quand il embrasse la miséricorde, dépasse les autres disciples : il ne croit pas seulement à la résurrection, mais à l’amour sans limites de Dieu. Et il se livre à la confession de foi la plus simple et la plus belle : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (v. 28). Voilà la résurrection du disciple : elle s’accomplit quand son humanité fragile et blessée entre dans celle de Jésus. Là, les doutes se dissipent, là Dieu devient mon Dieu, là on recommence à s’accepter soi-même et à aimer sa propre vie. 
Chers frères et sœurs, dans l’épreuve que nous sommes en train de traverser, nous aussi, comme Thomas, avec nos craintes et nos doutes, nous nous sommes retrouvés fragiles. Nous avons besoin du Seigneur, qui voit en nous, au-delà de nos fragilités, une beauté indélébile. Avec lui, nous nous redécouvrons précieux dans nos fragilités. Nous découvrons que nous sommes comme de très beaux cristaux, fragiles et en même temps précieux. Et si, comme le cristal, nous sommes transparents devant lui, sa lumière, la lumière de la miséricorde, brille en nous, et à travers nous, dans le monde. Voilà pourquoi il nous faut, comme nous l’a dit la Lettre de Pierre, exulter de joie, même si nous devons être affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves (cf. 1P 1, 6). 
En cette fête de la Miséricorde Divine, la plus belle annonce se réalise par l’intermédiaire du disciple arrivé en retard. Manquait seul lui, Thomas. Mais le Seigneur l’a attendu. Sa miséricorde n’abandonne pas celui qui reste en arrière. Maintenant, alors que nous pensons à une lente et pénible récupération suite à la pandémie, menace précisément ce danger : oublier celui qui est resté en arrière. 
Le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent. Il se transmet à partir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pour moi. On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler sur l’autel du progrès celui qui est en arrière. Cette pandémie nous rappelle cependant qu’il n’y a ni différences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles, tous égaux, tous précieux. Ce qui est en train de se passer nous secoue intérieurement : c’est le temps de supprimer les inégalités, de remédier à l’injustice qui mine à la racine la santé de l’humanité tout entière ! 
Mettons-nous à l’école de la communauté chrétienne des origines, décrite dans le livre des Actes des Apôtres ! Elle avait reçu miséricorde et vivait la miséricorde : « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). Ce n’est pas une idéologie, c’est le christianisme. 
Dans cette communauté, après la résurrection de Jésus, un seul était resté en arrière et les autres l’ont attendu. Aujourd’hui, c’est le contraire qui semble se passer : une petite partie de l’humanité est allée de l’avant, tandis que la majorité est restée en arrière. Et chacun pourrait dire : « Ce sont des problèmes complexes, il ne me revient pas de prendre soin des personnes dans le besoin, d’autres doivent y penser !’’. Sainte Faustine, après avoir rencontré Jésus, a écrit : « Dans une âme souffrante, nous devons voir Jésus crucifié et non un parasite et un poids… [Seigneur], tu nous donnes la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde et nous nous livrons à des jugements » (Journal, 6 septembre 1937). Cependant, elle-même s’est plainte un jour à Jésus qu’en étant miséricordieux on passe pour un naïf. Elle a dit : « Seigneur, on abuse souvent de ma bonté ». Et Jésus a répondu : « Peu importe, ma fille, ne t’en soucie pas, toi, sois toujours miséricordieuse envers tout le monde » (24 décembre 1937). Envers tous : ne pensons pas uniquement à nos intérêts, aux intérêts partisans. 
Saisissons cette épreuve comme une occasion pour préparer l’avenir de tous. En effet, sans une vision d’ensemble, il n’y aura d’avenir pour personne. Aujourd’hui, l’amour désarmé et désarmant de Jésus ressuscite le cœur du disciple. Nous aussi, comme l’apôtre Thomas, accueillons la miséricorde, salut du monde. Et soyons miséricordieux envers celui qui est plus faible : ce n’est qu’ainsi que nous construirons un monde nouveau.

2419

        pape François
         ( Homélie du 17 avril 2020 - en période de confinement - le danger de la foi virtuelle)
"Les disciples étaient des pêcheurs : Jésus les avait appelés pendant leur travail. André et Pierre travaillaient avec leurs filets. Ils laissèrent leurs filets et suivirent Jésus (cf. Mt 4,18-20). Jean et Jacques, pareil : ils laissèrent leur père et les jeunes qui travaillaient avec eux et ils suivirent Jésus (cf. Mt 4,21-22). L’appel s’est fait dans leur métier de pêcheurs. Et ce passage de l’Évangile d’aujourd’hui, ce miracle de la pêche miraculeuse nous fait penser à une autre pêche miraculeuse, celle que raconte Luc (cf. Lc 5,1-11) où il est arrivé la même chose. Ils ont pris du poisson, alors qu’ils pensaient ne rien avoir. Après sa prédication, Jésus a dit : “Avance au large” – “Mais nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre !” – “Allez”. “Sur ta parole – dit Pierre – je vais jeter les filets.” Il pêchèrent une telle quantité – dit l’Évangile – qu’il furent saisis d’“un grand effroi” (cf. Lc 5,9), par ce miracle. Aujourd’hui, dans cette autre pêche, on ne parle pas d’effroi. On voit un certain naturel, on voit qu’il y a eu du progrès, un cheminement dans la connaissance du Seigneur, dans l’intimité avec le Seigneur ; je dirais que c’est le mot juste : dans la familiarité avec le Seigneur. Quand Jean vit cela, il dit à Pierre : “C’est le Seigneur !”, et Pierre s’habilla et se jeta à l’eau pour aller vers le Seigneur (cf. Jn 21,7). La première fois, il s’était agenouillé devant Lui : “Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur.” (cf. Lc 5,8). Cette fois-ci il ne dit rien, c’est plus naturel. Personne ne demandait : “Qui es-tu ?”. Ils savaient que c’était le Seigneur, la rencontre avec le Seigneur était naturelle. La familiarité des apôtres avec le Seigneur avait grandi.
Nous aussi chrétiens, dans notre chemin de vie, nous sommes en marche, nous progressons dans la familiarité avec le Seigneur. Le Seigneur, pourrais-je dire, est un peu “sans façons”, mais “sans façons” parce qu’il marche avec nous, nous savons que c’est Lui. Ici personne ne lui a demandé “qui es-tu ?”: ils savaient que c’était le Seigneur. Le chrétien a une familiarité quotidienne avec le Seigneur. Ils ont sûrement pris leur petit-déjeuner ensemble, avec du poisson et du pain, ils ont certainement parlé de beaucoup de choses avec naturel. 
Cette familiarité des chrétiens avec le Seigneur est toujours communautaire. Oui, elle est intime, elle est personnelle mais en communauté. Une familiarité sans communauté, une familiarité sans le Pain, une familiarité sans l’Eglise, sans le peuple, sans les sacrements, est dangereuse. Elle peut devenir une familiarité – disons-le – gnostique, une familiarité seulement pour moi, détachée du peuple de Dieu. La familiarité des apôtres avec le Seigneur était toujours communautaire, signe de la communauté. Elle allait toujours avec le sacrement, avec le Pain. 
Je dis cela parce que quelqu’un m’a fait réfléchir sur le danger de ce que nous sommes en train de vivre en ce moment, de cette pandémie qui nous a conduits à tous communiquer même religieusement à travers les médias, à travers les moyens de communication ; même cette Messe, nous sommes tous en communion, mais pas physiquement ensemble, spirituellement ensemble… Il y a un grand peuple : nous sommes ensemble...mais pas ensemble. Le sacrement aussi : aujourd’hui vous avez l’Eucharistie, mais les personnes qui sont connectées avec nous n’ont que la communion spirituelle. Et ce n’est pas l’Eglise : c’est l’Eglise d’une situation difficile, que le Seigneur permet, mais l’idéal de l’Eglise est toujours avec le peuple et avec les sacrements. Toujours. 
Avant Pâques, quand est sortie la nouvelle que j’allais célébrer Pâques dans la basilique Saint-Pierre vide, un évêque m’a écrit – un bon évêque : bon – et il m’a réprimandé. “Mais comment cela, Saint-Pierre est si grande, pourquoi ne pas mettre au moins 30 personnes, pour que l’on voie du monde ? Il n’y aura pas de danger …”. Je pensai : “Mais qu’a-t-il en tête pour me dire ça ?”. A ce moment-là je n’ai pas compris. Mais comme c’est un bon évêque, très proche du peuple, il voulait me dire quelque chose. Quand je le verrai, je lui demanderai. Puis j’ai compris. Il me disait : “Attention à ne pas virtualiser l’Eglise, à ne pas virtualiser les sacrements, à ne pas virtualiser le peuple de Dieu. L’Eglise, les sacrements, le peuple de Dieu sont concrets. C’est vrai qu’en ce moment nous devons faire cette familiarité avec le Seigneur de cette façon, mais pour sortir du tunnel, pas pour y rester. Et c’est la familiarité des apôtres : pas gnostique, pas virtualisée, pas égoïste pour chacun d’eux, mais une familiarité concrète, dans le peuple. La familiarité avec le Seigneur dans la vie quotidienne, la familiarité avec le Seigneur dans les Sacrements, au milieu du peuple de Dieu. Ils ont fait un chemin de maturité dans la familiarité avec le Seigneur apprenons à le faire nous aussi. Dès le premier moment, ils ont compris que cette familiarité était différente de celle qu’ils imaginaient, et ils sont arrivés à cela. Ils savaient que c’était le Seigneur, ils partageaient tout : la communauté, les sacrements, le Seigneur, la paix, la fête.
Que le Seigneur nous enseigne cette intimité avec Lui, cette familiarité avec Lui mais dans l’Eglise, avec le sacrements, avec le saint peuple fidèle de Dieu.

2418

        père Gaston Lecleir
         ( Rythmes et spirales vers Dieu - Editions du Moustier)
"Seigneur, ta Pâques ouvre mon avenir. Mes jours s'achevaient dans l'impasse de la mort.
Tu y ouvres une brèche pour que la vie humaine puisse s'engouffrer dans l'éternité:
le fleuve de la vie retourne à sa source !
Tu m'ouvres aussi un avenir terrestre: ton pardon me dit que tout reste possible.
Le printemps chante le renouveau comme l'habit de ressuscité dont tu revêts le fils prodigue.
Désormais, c'est le souffle de ton Amour qui réchauffe la fraîcheur de ma vie.
Ton Eau Vive devient source jaillissante pour féconder mes activités.
Ta lumière me guide sur les chemins de la rencontre, là où tu me précèdes.
Mon avenir devient joie, même dans la peine;
confiance, même dans la déprime; espérance, même devant la mort.
Seigneur, donne-moi d'ouvrir cet avenir à tous ceux que je croise,
car la fête pascale doit résonner pour tous.
Alléluia!"


2417

        père François Varillon
         ( « Joie de croire, joie de vivre » – CENTURION.)
« Quand Jésus lave les pieds des apôtres le soir du Jeudi Saint, il les regarde de bas en haut et c’est à ce moment-là qu’il nous dit qu’il est Dieu. Nous cherchons Dieu dans la lune alors qu’il est en train de nous laver les pieds. Le lavement des pieds est une leçon d’amour fraternel, bien entendu, mais, plus profondément, il est une révélation, un dévoilement de ce qu’est Dieu. »  


2416

        père Phil Bosmans
         ( Siffler sous la pluie -  paru sur le site internet coopbelsud/le mot du jour)
"Comment se fait-il que certains Hommes
soient grincheux sous le soleil
et que d’autres
arrivent à siffler sous la pluie ?
Comment se fait-il
qu’il y ait des Hommes
qui, dès qu’ils ouvrent les yeux,
voient toujours quelque chose de travers ?
Cela vient
de ce qu’ils ont une idée faussée
du sens de la vie et des choses.
Ils ont besoin de Dieu,
non pas comme un être vague et impersonnel
quelque part dans le lointain
mais comme un ami personnel,
comme un père tout proche.
Un contact intime avec Dieu
change le regard des hommes sur les choses
et tous les matins
renouvelle le cœur."

2415

        Huguette Le Blanc
         ( Seigneur ouvre nos coeurs - paru sur coopbelsud/le mot du jour)
"Seigneur, ouvre nos cœurs à la pauvreté, rends-nous sensibles au don de ta présence. Que la faim, la soif, les larmes de tant de frères et de sœurs ne nous trouvent pas insensibles.
Ouvre nos yeux et nos cœurs afin qu’ils voient cette humanité-famille que tu nous donnes : tous ces peuples qui survivent dans les bidonvilles, les favelas, les taudis rapiécés du Nord et du Sud ; tous ces peuples qui n’ont plus que leur courage comme bagages.
Vois, nos larmes coulent si rarement pour ces populations que l’on traite sans respect. Notre richesse, notre indifférence et notre silence complices ne sont-ils pas signes de notre inhumanité ?
Que ta Parole en ce jour vienne à notre secours ; qu’elle nous recrée en ton Esprit d’amour afin que nous devenions vivants et vivantes de toi.
Apprends-nous à devenir véritablement humains, et à laisser passer par nos pauvretés le don de ton amour." 

2414

        André Louf (1929-2010)
         (« À la grâce de Dieu »)
« Basculer vers son intériorité »...
« Il s'agit de l'un des moments cruciaux de l'expérience spirituelle chrétienne. Hélas ! Chez la plupart d'entre nous, même si nous sommes croyants, cette réalité, au fond bouleversante, reste souvent, et parfois pour toujours, à l'état inconscient.
La culture actuelle semble même être affectée d'une surdité particulière, d'une remarquable insensibilité par rapport à ce trésor intérieur, caché en nous.
Bien des aspects de la vie moderne, non condamnables en soi, se conjuguent pour attirer l'homme hors de lui-même et l'obligent à s'installer au niveau de ses sens extérieurs, à vivre, pourrait-on dire, «à fleur de peau». Or, pour peu que l'on fréquente les grands auteurs spirituels du passé, et pas seulement ceux qui appartiennent à la Tradition chrétienne, on est frappé par la grande attention qu'ils portent à leurs sens intérieurs, à tout ce qu'ils vivent au-dedans d'eux-mêmes.

L'Homme moderne, au contraire, semble frappé d'allergie vis-à-vis de son intériorité, qui est le lieu où il pourrait rencontrer Dieu d'une façon infiniment plus dense et, après tout, infiniment plus facile, qu'en empruntant le long et fastidieux détour par les créatures, qu’il croit devoir s’imposer aujourd’hui. » 

2413

        Pape François
         (Discours préparé par le Pape pour la rencontre de Carême avec les prêtres de Rome - 27 février 2020 - liturgie pénitentielle - L'amertume)
Troisième cause d’amertume: les problèmes entre nous

Ces dernières années, les prêtres ont subi les coups des scandales, financiers et sexuels. Le soupçon a rendu les relations considérablement plus froides et formelles; on n’apprécie plus les dons des autres, au contraire, il semble qu’il soit devenu une mission de détruire, minimiser, faire soupçonner. Face aux scandales, le malin nous tente en nous poussant vers une vision «donatiste» de l’Eglise: à l’intérieur, les irréprochables, dehors ceux qui se trompent! Nous avons de fausses conceptions de l’Eglise militante, dans une sorte de puritanisme ecclésiologique. L’Épouse du Christ est et demeure le champ dans lequel poussent jusqu’à la parousie le bon grain et l’ivraie. Qui n’a pas fait sienne cette vision évangélique de la réalité s’expose à d’indicibles et inutiles amertumes.

Quoi qu’il en soit, les péchés publics et publicisés du clergé ont rendu tout le monde plus circonspect et moins disposé à instaurer des liens significatifs, surtout en ce qui concerne le partage de la foi. Les rendez-vous communs se multiplient — formation permanente et autre — mais on participe avec un cœur moins disposé. Il y a plus de «communauté» mais moins de communion! La question que nous nous posons, lorsque nous rencontrons un nouveau confrère, émerge silencieusement: «Qui ai-je vraiment devant moi? Puis-je me fier?».

Il ne s’agit pas de la solitude: elle n’est pas un problème, mais un aspect du mystère de la communion. La solitude chrétienne — celle de celui qui rentre dans sa chambre et prie son Père dans le secret — est une bénédiction, la véritable source de l’accueil aimant de l’autre. Le vrai problème ne réside pas dans le fait qu’on ne trouve plus le temps pour rester seul. Sans solitude, il n’y a pas d’amour gratuit et les autres deviennent un succédané des vides. En ce sens, comme prêtres, il faut toujours que nous réapprenions à rester seuls «de façon évangélique», comme Jésus la nuit avec le Père [2].
Ici, le drame, c’est l’isolement, qui est autre chose par rapport à la solitude. Un isolement, pas seulement et pas tant extérieur — nous sommes toujours au milieu des gens — qu’inhérent à l’âme du prêtre. Je commence par l’isolement plus profond, pour ensuite toucher une forme plus visible.

Isolés par rapport à la grâce: atteints par le sécularisme, nous ne croyons plus ni ne sentons que nous sommes entourés d’amis célestes — le «grand nombre de témoins» (cf. He 12, 1) —; il nous semble que nous faisons l’expérience que notre histoire, nos douleurs, ne touchent personne. Le monde de la grâce nous est devenu peu à peu étranger, les saints nous semblent être uniquement les «amis imaginaires» des enfants. L’Esprit qui habite le cœur — en substance et non en apparence — est quelque chose que nous n’avons peut-être jamais expérimenté, par dissipation ou par négligence. Nous connaissons, mais nous ne «touchons» pas. L’éloignement de la force de la grâce produit rationalismes ou sentimentalismes. Jamais une chair rachetée.

S’isoler par rapport à l’histoire: tout semble se consumer ici et maintenant, sans espérance dans les biens promis et dans la récompense future. Tout s’ouvre et se ferme avec nous. Ma mort n’est pas le passage du témoin, mais une interruption injuste. Plus on se sent spécial, puissant, riche de dons, plus le cœur se ferme au sens continu de l’histoire du peuple de Dieu auquel on appartient. Notre conscience individualisée nous fait croire que rien n’a existé avant nous et que rien n’existera après. C’est pour cette raison que nous avons tant de mal à prendre soin de ce que notre prédécesseur a commencé de bon, et à le protéger: souvent, nous arrivons à la paroisse et nous nous sentons le devoir de faire table rase, pour nous distinguer et nous différencier. Nous ne sommes pas capables de continuer à faire vivre le bien dont nous n’avons pas nous-mêmes accouché! Nous recommençons à zéro parce que nous ne ressentons pas le goût d’appartenir à un chemin communautaire de salut.

Isolés par rapport aux autres: l’isolement par rapport à la grâce et à l’histoire est une des causes de l’incapacité parmi nous d’instaurer des relations significatives de confiance et de partage évangélique. Si je suis isolé, mes problèmes paraissent uniques et insurmontables: personne ne peut me comprendre. C’est l’une des pensées préférées du père du mensonge. Souvenons-nous des paroles de Bernanos (dans le Journal d’un curé de campagne): «Il faut beaucoup de temps pour le reconnaître, et la tristesse qui l’annonce, le précède, est si douce! C’est le plus riche des élixirs du démon, son ambroisie!». Une pensée qui peu à peu prend corps et nous renferme en nous-mêmes, nous éloigne des autres et nous met en position de supériorité. Parce que personne ne serait à la hauteur des exigences. Une pensée qui, à force de se répéter, finit par se nicher en nous. «Qui masque ses forfaits point ne réussira; qui les avoue et y renonce obtiendra miséricorde» (cf. Pr 28, 13).

Le démon ne veut pas que tu parles, que tu racontes, que tu partages. Alors toi, cherche un bon père spirituel, âgé, «malin» qui puisse t’accompagner. Ne jamais s’isoler, jamais! Le sentiment profond de la communion ne se ressent que lorsque, personnellement, je prends conscience du «nous» que je suis, que j’ai été et que je serai. Sinon, les autres problèmes arrivent en cascade: de l’isolement, d’une communauté sans communion, naît la compétition et sûrement pas la coopération: il émerge le désir de reconnaissances et non la joie d’une sainteté partagée; on entre en relation, soit pour se comparer, soit pour s’épauler.

Souvenons-nous du peuple d’Israël lorsque, marchant dans le désert pendant trois jours, il arriva à Mara, mais ne put boire l’eau parce qu’elle était amère. Devant la protestation du peuple, Moïse invoqua le Seigneur et l’eau devint douce (cf. Ex 15, 22-25). Le saint peuple fidèle de Dieu nous connaît mieux que personne. Ils sont très respectueux et savent accompagner leurs pasteurs et prendre soin d’eux. Ils connaissent nos amertumes et prient aussi le Seigneur pour nous. Ajoutons à leurs prières les nôtres et demandons au Seigneur de transformer nos amertumes en eau douce pour son peuple. Demandons au Seigneur de nous donner la capacité de reconnaître ce qui nous rend amers pour nous laisser transformer et être des personnes réconciliées qui réconcilient, des personnes pacifiées qui pacifient, des personnes pleines d’espérance qui donnent l’espérance. Le peuple de Dieu attend de nous des maîtres en esprit, capables d’indiquer les puits d’eau douce au milieu du désert.
[2] C’est une solitude à moitié — disons-le sincèrement —, parce que c’est la solitude du pasteur qui est remplie de noms, de visages, de situations, du pasteur qui le soir, est fatigué et parle avec son Seigneur de toutes ces personnes. La solitude du pasteur est une solitude habitée des rires et des pleurs des personnes et de la communauté; c’est une solitude avec des visages à offrir au Seigneur.

2412

        Pape François
         (Discours préparé par le Pape pour la rencontre de Carême avec les prêtres de Rome - 27 février 2020 - liturgie pénitentielle - L'amertume)
Seconde cause d’amertume: les problèmes avec l’évêque
Je ne veux pas tomber dans la rhétorique ni chercher le bouc émissaire, ni même me défendre ou défendre ceux de mon entourage. Le lieu commun, qui voit dans les supérieurs les fautes de tout, ne tient plus. Nous avons tous des failles, petites et grandes. Au jour d’aujourd’hui, on a l’impression de respirer une atmosphère générale (pas seulement entre nous) de médiocrité diffuse, qui ne nous permet pas de nous accrocher à des jugements faciles. Mais le fait est que beaucoup d’amertume dans la vie du prêtre vient des omissions des pasteurs.
Nous faisons tous l’expérience de nos limites et de nos manques. Nous sommes confrontés à des situations dans lesquelles nous nous rendons compte que nous ne sommes pas préparés de manière adéquate… Mais en montant progressivement vers des services et des ministères de plus grande visibilité, les carences deviennent plus évidentes et font plus de bruit; et c’est aussi une conséquence logique que, dans cette relation, il y a un grand enjeu, dans le bien et dans le mal. Quelles omissions? Il ne s’agit pas ici des divergences souvent inévitables sur les problèmes de gestion ou les styles pastoraux. Cela est tolérable et fait partie de la vie sur cette terre. Tant que le Christ ne sera pas tout en tous, tout le monde cherchera à s’imposer à tout le monde! C’est l’Adam déchu qui est en nous qui nous joue ces tours.
Le véritable problème qui rend amer, ne sont pas les divergences (et peut-être pas non plus les erreurs: un évêque a aussi le droit de se tromper, comme toutes les créatures!), mais plutôt deux motifs très sérieux et déstabilisants pour les prêtres.
Avant tout, une certaine dérive autoritaire soft: on n’accepte pas ceux qui parmi nous pensent différemment. Pour un mot, on est relégué dans la catégorie de ceux qui rament à contre-courant, pour un «distinguo» on est inscrit parmi les mécontents. La parrhésie est enterrée par la frénésie d’imposer des projets. Le culte des initiatives se substitue à l’essentiel: une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu Père de tous. L’adhésion aux initiatives risque de devenir le critère de la communion. Mais elle ne coïncide pas toujours avec l’unanimité des opinions. Et on ne peut pas non plus prétendre que la communion soit exclusivement unidirectionnelle: les prêtres doivent être en communion avec leur évêque... et les évêques en communion avec leurs prêtres: ce n’est pas un problème de démocratie, mais de paternité.
Dans sa Règle — au célèbre chapitre iii — saint Benoît recommande que l’abbé, lorsqu’il doit affronter une question importante, consulte la communauté tout entière, y compris les plus jeunes. Puis il poursuit en répétant que la décision ultime revient uniquement à l’abbé, qui doit tout disposer avec prudence et équité. Pour Benoît, ce n’est pas l’autorité qui est remise en question, bien au contraire, c’est l’abbé qui répond devant Dieu de la conduite du monastère; mais il est dit que, pour décider, il doit être «prudent et équitable». Le premier terme, nous le connaissons bien: prudence et discernement font partie du vocabulaire commun.
L’«équité» est moins habituelle: équité veut dire tenir compte de l’opinion de tous et sauvegarder la représentativité du troupeau, sans faire de préférences. La grande tentation du pasteur est de s’entourer des «siens», des «proches»; et ainsi, malheureusement, la réelle compétence est supplantée par une certaine loyauté présumée, sans plus distinguer entre celui qui fait plaisir et celui qui conseille de manière désintéressée. Cela fait beaucoup souffrir le troupeau qui, souvent, accepte sans rien extérioriser. Le Code de droit canonique rappelle que les fidèles «ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise» (can. 212 par. 3). Certes, en ce temps de précarité et de fragilité diffuse, la solution semble être l’autoritarisme (dans le domaine politique, cela est évident). Mais la véritable sollicitude — comme le conseille saint Benoît — repose sur l’équité, et non sur l’uniformité[1].
[1] Un deuxième motif d’amertume provient d’une «perte» dans le ministère des pasteurs: étouffés par des problèmes de gestion et par des urgences de personnel, nous risquons de négliger le munus docendi. L’évêque est le maître de la foi, de l’orthodoxie et de l’«ortopathie», de la juste manière de croire et de sentir dans l’Esprit Saint. Dans l’ordination épiscopale, l’épiclèse est priée avec l’Evangéliaire ouvert sur la tête du candidat et l’imposition de la mitre redit extérieurement le munus de transmettre non pas les croyances personnelles, mais la sagesse évangélique. Qui est le catéchiste de ce disciple permanent qu’est le prêtre? L’évêque, naturellement! Mais qui s’en souvient? On pourrait objecter que les prêtres, en général, ne veulent pas être instruits par les évêques. Et c’est vrai. Mais ceci — même si c’était le cas — n’est pas un bon motif pour renoncer au munus. Le saint peuple de Dieu a droit à avoir des prêtres qui enseignent à croire; et les diacres et les prêtres ont le droit d’avoir un évêque qui, à son tour, enseigne à croire et à espérer dans l’Unique Maître, Chemin, Vérité et Vie, qui enflamme leur foi. En tant que prêtre, je ne veux pas que l’évêque me satisfasse, mais qu’il m’aide à croire. Je voudrais pouvoir fonder en lui mon espérance théologale! Parfois, on se limite à suivre uniquement les confrères en crise (et c’est bien) mais les «ânes en bonne santé» auraient aussi besoin d’une écoute plus ciblée, sereine et en dehors des urgences. Voici donc une seconde omission qui peut provoquer de l’amertume: le renoncement au munus docendi à l’égard des prêtres (et pas seulement). Des pasteurs autoritaires qui ont perdu l’autorité d’enseigner?

2411

        Pape François
         (Discours préparé par le Pape pour la rencontre de Carême avec les prêtres de Rome - 27 février 2020 - liturgie pénitentielle)
Première cause d’amertume: les problèmes avec la foi
«Nous espérions que c’était Lui», se confient l’un à l’autre les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 21). Une espérance déçue est à l’origine de leur amertume. Mais il faut réfléchir: est-ce le Seigneur qui nous a déçus ou bien est-ce nous qui avons confondu l’espérance avec nos attentes? L’espérance chrétienne, en réalité, ne déçoit pas et n’échoue pas. Espérer n’est pas se convaincre que les choses iront mieux, mais que tout ce qui arrive a un sens à la lumière de Pâques. Mais pour espérer de façon chrétienne, il faut — comme l’enseignait saint Augustin à Proba — vivre une vie de prière substantielle. C’est là que l’on apprend à faire la distinction entre attentes et espérance. 
Or, la relation à Dieu — plus que les déceptions pastorales — peut être cause d’une profonde amertume. Parfois, il semble presque qu’Il ne respecte pas les attentes d’une vie pleine et abondante, que nous avions le jour de notre ordination. Parfois, une adolescence jamais terminée n’aide pas à passer des rêves à la spes. En tant que prêtres, peut-être sommes-nous trop «bien comme il faut» dans notre relation à Dieu et nous ne nous hasardons pas à protester dans la prière, comme le psalmiste, le fait en revanche très souvent — non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour notre peuple; parce que le pasteur porte aussi les amertumes de son peuple —; mais les psaumes ont été eux aussi «censurés» et nous avons du mal à faire nôtre une spiritualité de la protestation. Nous tombons ainsi dans le cynisme: mécontents et un peu frustrés. La véritable protestation — de l’adulte — n’est pas contre Dieu mais devant Lui, parce qu’elle naît justement de notre confiance en Lui: celui qui prie rappelle au Père qui il est et ce qui est digne de son nom. Nous devons sanctifier son nom, mais parfois, les disciples doivent réveiller le Seigneur et lui dire: «Tu ne te soucies pas de ce que nous sommes perdus?». Ainsi, le Seigneur veut nous impliquer directement dans son Royaume. Non comme des spectateurs, mais en participant activement. 
Quelle différence y a-t-il entre attentes et espérance? L’attente naît quand nous passons notre vie à sauver notre vie: nous nous donnons du mal à chercher des sécurités, des récompenses, des promotions… Quand nous recevons ce que nous voulons, nous avons presque l’impression que nous ne mourrons jamais, que ce sera toujours ainsi! Parce que c’est nous qui sommes le point de référence. L’espérance est au contraire quelque chose qui naît dans le cœur quand il se décide à ne plus se défendre. Quand je reconnais mes limites, et que tout ne commence pas et ne finit pas avec moi, alors je reconnais combien il est important d’avoir confiance. Le théatin Lorenzo Scupoli l’enseignait déjà dans son Combat spirituel: la clé de tout se trouve dans un double mouvement simultané: se méfier de soi, faire confiance à Dieu. J’espère non pas lorsqu’il n’y a plus rien à faire, mais quand je cesse de me donner du mal uniquement pour moi. L’espérance s’appuie sur une alliance: Dieu m’a parlé et m’a promis, le jour de mon ordination, que ma vie serait pleine, de la plénitude et avec la saveur des Béatitudes; certes avec des tribulations — comme celles de tous les hommes — mais belle. Ma vie a de la saveur si je vis Pâques, pas si les choses vont comme je le dis. 
Et ici, on comprend autre chose: il ne suffit pas d’écouter simplement l’histoire pour comprendre ces processus. Il faut écouter l’histoire et notre vie à la lumière de la Parole de Dieu. Les disciples d’Emmaüs surmontèrent leur déception quand le Ressuscité leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures. Voilà: les choses iront mieux non seulement parce que nous changerons de supérieurs, ou de mission, ou de stratégies, mais parce que nous serons consolés par la Parole. Le prophète Jérémie confessait: «Ta parole était mon ravissement et l'allégresse de mon cœur» (15, 16). 
L’amertume — qui n’est pas une faute — doit être accueillie. Elle peut être une grande occasion. Peut-être est-elle même salutaire, parce qu’elle fait sonner le signal d’alarme intérieur: attention, tu as pris tes sécurités pour l’alliance, tu es en train de devenir «sans intelligence et au cœur lent». Il y a une tristesse qui peut nous conduire à Dieu. Accueillons-la, ne nous mettons pas en colère contre nous-mêmes. Cette fois peut être la bonne. Même saint François d’Assise en a fait l’expérience, il nous le rappelle dans son Testament (cf. Sources franciscaines, n. 110). L’amertume se changera en une grande douceur, et les douceurs faciles, mondaines, se transformeront en amertume.

2410

        Pape François
         (Discours préparé par le Pape pour la rencontre de Carême avec les prêtres de Rome - 27 février 2020 - liturgie pénitentielle - sur l'amertume)
Regarder en face nos amertumes et nous confronter à elles nous permet de prendre contact avec notre humanité, avec notre humanité bénie. Et ainsi, nous souvenir qu’en tant que prêtres, nous ne sommes pas appelés à être tout-puissants, mais des hommes pécheurs pardonnés et envoyés. Comme le disait saint Irénée de Lyon: «Ce qui n’est pas assumé n’est pas racheté». Laissons ces «amertumes» nous indiquer elles aussi la voie vers une plus grande adoration du Père et nous aider à expérimenter à nouveau la force de son onction miséricordieuse (cf. Lc 15, 11-32). Comme le dit le psalmiste: «Pour moi tu as changé le deuil en une danse, tu dénouas mon sac et me ceignis d'allégresse; aussi mon cœur te chantera sans plus se taire» (Ps 30, 11-12).

Jésus disait à ses disciples : "Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai Aimés." (Jn 15, 12)