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Henri Nouwen (1932-1996)
(Le retour de l'Enfant prodigue, Paris, Albin Michel, 2008, p. 194-195.)
« Le tableau de Rembrandt et sa vie tragique m'ont fourni le contexte qui m'a permis de découvrir ceci : l'étape finale de la vie spirituelle est de pouvoir se débarrasser si totalement de la peur de Dieu qu'il devient possible alors de devenir semblable à Lui.Tant que le Père évoque la peur, il reste un étranger et ne peut demeurer en moi. Mais Rembrandt, qui m'a montré chez le Père une vulnérabilité suprême, m'a fait prendre conscience que ma vocation finale est, en effet, de devenir semblable au Père et d'imiter sa miséricorde divine.
Bien que je sois à la fois le fils cadet et le fils aîné, je n'ai pas à le demeurer, mais à devenir le père. Aucun père et aucune mère ne sont devenus père et mère sans d'abord avoir été fils ou fille, mais chaque fils et chaque fille doit choisir consciemment de quitter l'enfance, afin de devenir père et mère pour d'autres. C'est un pas dans la solitude difficile à franchir, surtout à une époque de l'histoire où il est difficile de bien vivre la condition de parents ; mais c'est une étape essentielle pour l'accomplissement du cheminement spirituel.
Devenir semblable au Père céleste n’est pas seulement un aspect important de l’enseignement de Jésus, c’est le cœur même de son message. A mesure que les années passent, je découvre combien ardues et stimulantes mais aussi gratifiantes est cette croissance dans la paternité spirituelle. La paternité spirituelle n’a rien à voir avec le pouvoir ou le contrôle ; c’est une paternité de compassion, et il me faut continuellement regarder le Père embrassant le fils prodigue pour entrevoir cela. Pour devenir comme le Père, je dois être aussi généreux que Lui. Tout comme le Père donne son être même à ses enfants, de même dois-je donner le meilleur de moi-même à mes frères et sœurs. Jésus dit clairement que c’est précisément le don de soi qui est la marque du vrai disciple. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15, 13). Ce don de la personne est une discipline parce que ce n’est pas quelque chose qui va de soi. Pour les enfants des ténèbres qui gouvernent par la peur, l’intérêt personnel, la convoitise et le pouvoir, les grandes motivations sont la survie et l’autodéfense, et les enfants de Lumière qui savent que l’Amour parfais chasse la crainte, peuvent donner tout ce qu’ils ont pour les autres. Comme enfants de la Lumière, nous nous préparons à devenir de vrais martyrs, des personnes qui rendent témoignage par toute leur vie à l’Amour infini de Dieu.Tout donner devient alors tout gagner.
Jésus exprime cela clairement en disant : « celui qui perd sa vie à cause de moi la sauvera» (Mt 8, 35). Chaque fois que j’avance d’un pas dans le chemin de la générosité, je sais que je passe de la peur à l’amour ; mais c’est du moins au début, somme difficile, parce que beaucoup d’émotions et de sentiments me retiennent, et m’empêchent de donner librement. »