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BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 24 septembre 2008


Les relations entre saint Paul et les apôtres


Chers frères et sœurs, 

Je voudrais parler aujourd'hui des relations entre saint Paul et les Apôtres qui l'avaient précédé à la suite de Jésus. Ces relations furent toujours marquées par un profond respect et par une franchise qui, chez saint Paul, dérive de la défense de la vérité de l'Evangile. Même s'il était, dans les faits, contemporain de Jésus de Nazareth, il n'eut jamais l'occasion de le rencontrer, au cours de sa vie publique. C'est pourquoi, après avoir été foudroyé sur le chemin de Damas, il ressentit le besoin de consulter les premiers disciples du Maître, qui avaient été choisis par Lui pour en porter l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre. 

Dans la Lettre aux Galates, Paul rédige un compte-rendu important sur les contacts entretenus avec plusieurs des Douze: avant tout avec Pierre qui avait été choisi comme Kephas, le terme araméen qui signifie le roc sur lequel l'on édifiait l'Eglise (cf. Ga 1, 18), avec Jacques, "le frère du Seigneur" (cf. Ga 1, 19), et avec Jean (cf. Ga 2, 9): Paul n'hésite pas à les reconnaître comme "les colonnes" de l'Eglise. La rencontre avec Céphas (Pierre), qui eut lieu à Jérusalem, est particulièrement significative: Paul resta chez lui pendant 15 jours pour "le consulter" (cf. Ga 1, 19), c'est-à-dire pour être informé sur la vie terrestre du Ressuscité, qui l'avait "saisi" sur la route de Damas et qui était en train de lui changer, de manière radicale, l'existence: de persécuteur à l'égard de l'Eglise de Dieu, il était devenu évangélisateur de cette foi dans le Messie crucifié et Fils de Dieu, que par le passé il avait cherché à détruire (cf. Ga 1, 23). 

Quel genre d'informations Paul obtint-il sur Jésus Christ pendant les trois années qui suivirent la rencontre de Damas? Dans la première Lettre aux Corinthiens nous pouvons noter deux passages, que Paul a connus à Jérusalem, et qui avaient déjà été formulés comme éléments centraux de la tradition chrétienne, tradition constitutive. Il les transmet verbalement, tels qu'il les a reçus, avec une formule très solennelle: "Je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu". C'est-à-dire qu'il insiste sur la fidélité à ce qu'il a lui-même reçu et qu'il transmet fidèlement aux nouveaux chrétiens. Ce sont des éléments constitutifs et ils concernent l'Eucharistie et la Résurrection; il s'agit de passages déjà formulés dans les années trente. Nous arrivons ainsi à la mort, la sépulture au cœur de la terre et à la résurrection de Jésus (cf. 1 Co 15, 3-4). Prenons l'un et l'autre: les paroles de Jésus au cours de la Dernière Cène (cf. 1 Co 11, 23-25) sont réellement pour Paul le centre de la vie de l'Eglise: l'Eglise s'édifie à partir de ce centre, en devenant ainsi elle-même. Outre ce centre eucharistique, dans lequel naît toujours à nouveau l'Eglise - également pour toute la théologie de saint Paul, pour toute sa pensée - ces paroles ont eu une profonde répercussion sur la relation personnelle de Paul avec Jésus. D'une part, elles attestent que l'Eucharistie illumine la malédiction de la croix, la transformant en bénédiction (Ga 3, 13-14) et, de l'autre, elles expliquent la portée de la mort et de la résurrection de Jésus. Dans ses Lettres le "pour vous" de l'institution eucharistique devient le "pour moi" (Ga 2, 20), personnalisant, sachant qu'en ce "vous" il était lui-même connu et aimé de Jésus et d'autre part "pour tous" (2 Co 5, 14): ce "pour vous" devient "pour moi" et "pour l'Eglise (Ep 5, 25)", c'est-à-dire également "pour tous" du sacrifice expiatoire de la croix (cf. Rm 3, 25). A partir de l'Eucharistie et dans celle-ci, l'Eglise s'édifie et se reconnaît comme "Corps du Christ" (1 Co 12, 27), nourrie chaque jour par la puissance de l'Esprit du Ressuscité. 

L'autre texte sur la Résurrection nous transmet à nouveau la même formule de fidélité. Saint Paul écrit: "Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu: le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures, et il a été mis au tombeau; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures, et il est apparu à Pierre, puis aux Douze" (1 Co 15, 3-5). Dans cette tradition transmise à Paul revient également ce "pour nos péchés", qui met l'accent sur le don que Jésus a fait de lui-même au Père, pour nous libérer des péchés et de la mort. De ce don de soi, Paul tirera les expressions les plus captivantes et fascinantes de notre relation avec le Christ: "Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu" (2 Co 5, 21); "Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ: lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté" (2 Co 8, 9). Il vaut la peine de rappeler le commentaire par lequel celui qui était alors un moine augustin, Martin Luther, accompagnait ces expressions paradoxales de Paul: "Tel est le mystère grandiose de la grâce divine envers les pécheurs: que par un admirable échange nos péchés ne sont plus les nôtres, mais du Christ, et la justice du Christ n'est plus du Christ, mais la nôtre" (Commentaire sur les Psaumes de 1513-1515). Et ainsi nous sommes sauvés. 

Dans le kerygma original, transmis de bouche à oreille, il faut souligner l'usage du verbe "il est ressuscité", au lieu de "il fut ressuscité" qu'il aurait été plus logique d'utiliser, en continuité avec "il mourut... et fut enseveli". La forme verbale est choisie pour souligner que la résurrection du Christ influence jusqu'à l'heure actuelle l'existence des croyants: nous pouvons le traduire par "il est ressuscité et continue à vivre" dans l'Eucharistie et dans l'Eglise. Ainsi toutes les Ecritures rendent témoignage de la mort et de la résurrection du Christ car - comme l'écrira Ugo di San Vittore - "toute la divine Ecriture constitue un unique livre et cet unique livre est le Christ, car toute l'Ecriture parle du Christ et trouve dans le Christ son accomplissement" (De arca Noe, 2, 8). Si saint Ambroise de Milan peut dire que "dans l'Ecriture nous lisons le Christ", c'est parce que l'Eglise des origines a relu toutes les Ecritures d'Israël en partant du Christ et en revenant à Lui. 

L'énumération des apparitions du Ressuscité à Céphas, aux Douze, à plus de cinq cent frères et à Jacques se termine par la mention de l'apparition personnelle, reçue par Paul sur le chemin de Damas: "Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis" (1 Co 15, 8). Ayant persécuté l'Eglise de Dieu, il exprime dans cette confession son indignité à être considéré apôtre, au même niveau que ceux qui l'ont précédé: mais la grâce de Dieu en lui n'a pas été vaine (1 Co 15, 10). C'est pourquoi l'affirmation puissante de la grâce divine unit Paul aux premiers témoins de la résurrection du Christ: "Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres, voilà notre message, et voilà notre foi" (1 Co 15, 11). L'identité et le caractère unique de l'Evangile sont importants: aussi bien eux que moi prêchons la même foi, le même Evangile de Jésus Christ mort et ressuscité qui se donne dans la Très Sainte Eucharistie. 

L'importance qu'il confère à cette Tradition vivante de l'Eglise, qu'il transmet à ses communautés, démontre à quel point est erronée la vision de ceux qui attribuent à Paul l'invention du christianisme: avant de porter l'évangile de Jésus Christ, son Seigneur, il l'a rencontré sur le chemin de Damas et il l'a fréquenté dans l'Eglise, en observant sa vie chez les Douze et chez ceux qui l'ont suivi sur les routes de la Galilée. Dans les prochaines catéchèses, nous aurons l'opportunité d'approfondir les contributions que Paul a apportées à l'Eglise des origines; mais la mission reçue par le Ressuscité en vue d'évangéliser les païens a besoin d'être confirmée et garantie par ceux qui lui donnèrent leur main droite, ainsi qu'à Barnabé, en signe d'approbation de leur apostolat et de leur évangélisation et d'accueil dans l'unique communion de l'Eglise du Christ (cf. Ga 2, 9). On comprend alors que l'expression "nous avons compris le Christ à la manière humaine" ( 2 Co 5, 16) ne signifie pas que son existence terrestre ait eu une faible importance pour notre maturation dans la foi, mais qu'à partir du moment de sa Résurrection, notre façon de nous rapporter à Lui se transforme. Il est, dans le même temps, le Fils de Dieu, "né de la race de David; selon l'Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur", comme le rappellera Paul au début de la Lettres aux Romains (1, 3-4). 

Plus nous cherchons à nous mettre sur les traces de Jésus de Nazareth sur les routes de la Galilée, plus nous pouvons comprendre qu'il a pris en charge notre humanité, la partageant en tout, hormis le péché. Notre foi ne naît pas d'un mythe, ni d'une idée, mais bien de la rencontre avec le Ressuscité, dans la vie de l'Eglise. 

* * *

Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones, en particulier les pèlerins du Diocèse de Chartres avec leur Évêque Monseigneur Michel Pansard, ainsi que les pèlerins du Diocèse de Tournai, avec leur Évêque Monseigneur Guy Harpigny. A la suite de saint Paul, prions afin que le Seigneur envoie beaucoup d’ouvriers apostoliques dans sa vigne. Avec ma Bénédiction Apostolique.

SOURCE : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080924_fr.html

1106

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE
10 septembre 2008

L'apostolat de saint Paul

Chers frères et sœurs, 

Mercredi dernier, j'ai parlé du grand tournant qui eut lieu dans la vie de saint Paul à la suite de sa rencontre avec le Christ ressuscité. Jésus entra dans sa vie et le transforma de persécuteur en apôtre. Cette rencontre marqua le début de sa mission: Paul ne pouvait pas continuer à vivre comme avant, à présent il se sentait investi par le Seigneur de la mission d'annoncer son Evangile en qualité d'apôtre. Et c'est précisément de cette nouvelle condition de vie, c'est-à-dire d'être apôtre du Christ, que je voudrais vous parler aujourd'hui. Normalement, en suivant les Evangiles, nous identifions les Douze avec le titre d'apôtres, entendant ainsi indiquer ceux qui étaient les compagnons de vie et les auditeurs de l'enseignement de Jésus. Mais Paul aussi se sent un véritable apôtre et il apparaît donc clair que le concept paulinien d'apostolat ne se limite pas au groupe des Douze. Naturellement Paul sait bien distinguer son propre cas de celui de ceux "qui étaient Apôtres avant" lui (Ga 1, 17): il leur reconnaît une place toute particulière dans la vie de l'Eglise. Et pourtant, comme chacun le sait, saint Paul s'interprète lui aussi comme Apôtre au sens strict. Il est certain que, à l'époque des origines chrétiennes, personne ne parcourut autant de kilomètres que lui, sur la terre et sur la mer, dans le seul but d'annoncer l'Evangile. 

Il possédait donc un concept d'apostolat qui allait au-delà de celui lié uniquement au groupe des Douze et transmis en particulier par saint Luc dans les Actes (cf. Ac 1,2.26; 6, 2). En effet, dans la première Lettre aux Corinthiens Paul effectue une claire distinction entre "les Douze" et "tous les apôtres", mentionnés comme deux groupes différents de bénéficiaires des apparitions du Ressuscité (cf. 15, 5.7). Dans ce même texte, il se nomme ensuite humblement lui-même comme "le plus petit des Apôtres", se comparant même à un avorton et affirmant textuellement: "Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres; à vrai dire ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi" (1 Co 15, 9-10). La métaphore de l'avorton exprime une extrême modestie; on la trouvera également dans la Lettre aux Romains de saint Ignace d'Antioche: "Je suis le dernier de tous, je suis un avorton; mais il me sera accordé d'être quelque chose, si je rejoins Dieu" (9, 2). Ce que l'évêque d'Antioche dira à propos de son martyre imminent, prévoyant que celui-ci transformerait sa condition d'indignité, saint Paul le dit lui-même en relation avec son propre engagement apostolique: c'est dans celui-ci que se manifeste la fécondité de la grâce de Dieu, qui sait précisément transformer un homme mal réussi en un apôtre splendide. De persécuteur à fondateur d'Eglises: c'est ce qu'a fait Dieu chez une personne qui, du point de vue évangélique, aurait pu être considérée comme un rebut! 

Qu'est-ce donc, selon la conception de Paul, qui fait de lui et d'autres personnes des apôtres? Dans ses Lettres apparaissent trois caractéristiques principales, qui constituent l'apostolat. La première est d'avoir "vu le Seigneur" (cf. 1 Co 9, 1), c'est-à-dire d'avoir eu avec lui une rencontre déterminante pour sa propre vie. De même, dans la Lettre aux Galates (cf. 1, 15-16) il dira qu'il a été appelé, presque sélectionné par la grâce de Dieu avec la révélation de son Fils en vue de l'heureuse annonce aux païens. En définitive, c'est le Seigneur qui appelle à l'apostolat, et non la propre présomption. L'apôtre ne se fait pas tout seul, mais il est fait tel par le Seigneur; l'apôtre a donc besoin de se référer constamment au Seigneur. Ce n'est pas pour rien que Paul dit qu'il est "apôtre par vocation" (Rm 1, 1), c'est-à-dire "envoyé non par les hommes, ni par un intermédiaire humain, mais par Jésus Christ et par Dieu le Père" (Ga 1, 1). Telle est la première caractéristique: avoir vu le Seigneur, avoir été appelé par Lui 

La deuxième caractéristique est d'"avoir été envoyés". Le terme grec apóstolos signifie précisément "envoyé, mandaté", c'est-à-dire ambassadeur et porteur d'un message; il doit donc agir comme responsable et représentant d'un mandant. Et c'est pour cela que Paul se définit "apôtre du Christ Jésus" (1 Co 1, 1; 2 Co 1, 1), c'est-à-dire son délégué, entièrement placé à son service, au point de s'appeler également "serviteur de Jésus Christ" (Rm 1, 1). Encore une fois apparaît au premier plan l'idée de l'initiative d'une autre personne, celle de Dieu dans le Christ Jésus, à laquelle on doit une pleine obéissance; mais il est en particulier souligné que l'on a reçu de lui une mission à accomplir en son nom, en mettant absolument au deuxième plan tout intérêt personnel. 

La troisième condition est l'exercice de l'"annonce de l'Evangile", avec la fondation conséquente d'Eglises. En effet, le titre d'"apôtre" n'est pas et ne peut pas être un titre honorifique. Il engage concrètement et même dramatiquement toute l'existence du sujet concerné. Dans la première Lettre aux Corinthiens Paul s'exclame: "Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je pas vu Jésus notre Seigneur? Et vous, n'êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur?" (9, 1). De même, dans la deuxième Lettre aux Corinthiens il affirme: "C'est vous-mêmes qui êtes ce document..., vous êtes ce document venant du Christ, confié à notre ministère, écrit non pas avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant" (3, 2-3). 

Il ne faut donc pas s'étonner si saint Jean Chrysostome parle de Paul comme d'"une âme de diamant" (Panégyriques, 1, 8), et poursuit en disant: "De la même manière que le feu se renforce encore davantage en prenant sur des matériaux différents..., la parole de Paul gagnait à sa propre cause tous ceux avec qui il entrait en relation, et ceux qui lui faisaient la guerre, capturés par ses discours, devenaient une nourriture pour ce feu spirituel" (ibid. 7, 11). Cela explique pourquoi Paul définit les apôtres comme des "collaborateurs de Dieu" (1 Co 3, 9; 2 Co 6, 1), dont la grâce agit avec eux. Un élément typique du véritable apôtre, bien mis en lumière par saint Paul, est une sorte d'identification entre Evangile et évangélisateur, tous deux destinés au même sort. En effet, personne autant que Paul n'a souligné que l'annonce de la croix du Christ apparaît comme "scandale et folie" (1 Co 1, 23), à laquelle nombreux sont ceux qui réagissent par l'incompréhension et le refus. L'apôtre Paul participe donc à ce sort d'apparaître "scandale et folie" et il le sait: telle est l'expérience de sa vie. Il écrit aux Corinthiens, non sans une nuance d'ironie: "Mais nous les Apôtres, il me semble que Dieu a fait de nous les derniers de tous, comme on expose des condamnés à mort, livrés en spectacle au monde entier, aux anges et aux hommes. Nous passons pour des fous à cause du Christ, et vous, pour des gens sensés dans le Christ; nous sommes faibles, et vous êtes forts; vous êtes à l'honneur, et nous, dans le mépris. Maintenant encore, nous avons faim, nous avons soif, nous n'avons pas de vêtements, nous sommes maltraités, nous n'avons pas de domicile, nous peinons dur à travailler de nos mains. Les gens nous insultent, nous les bénissons. Ils nous persécutent, nous supportons. Ils nous calomnient, nous avons des paroles d'apaisement. Jusqu'à maintenant, nous sommes pour ainsi dire les balayures du monde, le rebut de l'humanité" (1 Co 4, 9-13). C'est un autoportrait de la vie apostolique de saint Paul: dans toutes ces souffrances prévaut la joie d'être le porteur de la bénédiction de Dieu et de la grâce de l'Evangile 

Paul partage par ailleurs avec la philosophie stoïcienne de son temps l'idée d'une constance tenace face à toutes les difficultés qui se présentent à lui; mais il dépasse la perspective purement humaniste, rappelant la composante de l'amour de Dieu et du Christ: "Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ? la détresse? l'angoisse? la persécution? la faim? le dénuement? le danger? le supplice? L'Ecriture dit en effet: C'est pour toi qu'on nous massacre sans arrêt, on nous prend pour des moutons d'abattoir. Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J'en ai la certitude: ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur" (Rm 8, 35-39). Telle est la certitude, la joie profonde qui guide l'apôtre Paul dans tous ces événements: rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu. Et cet amour est la véritable richesse de la vie humaine. 

Comme on le voit, saint Paul s'était donné à l'Evangile avec toute son existence; nous pourrions dire vingt-quatre heures sur vingt-quatre! Et il accomplissait son ministère avec fidélité et avec joie, "pour en sauver à tout prix quelques-uns" (1 Co 9, 22). Et il se situait à l'égard des Eglises, tout en sachant qu'il avait avec elles une relation de paternité (cf. 1 Co 4, 15), voire de maternité (cf. Ga 4, 19), dans une attitude de service complet, déclarant admirablement: "Il ne s'agit pas d'exercer un pouvoir sur votre foi, mais de collaborer à votre joie" (2 Co 1, 24). Telle demeure la mission de tous les apôtres du Christ à toutes les époques: être les collaborateurs de la joie véritable. 


* * *
Je souhaite la bienvenue aux pèlerins de langue française présents ce matin. Que l’exemple de saint Paul vous aide à vous laisser transformer par la grâce de Dieu afin de devenir d’authentiques disciples du Christ, ardents à annoncer son Évangile. Avec ma Bénédiction apostolique.

1105

BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 3 septembre 2008

La conversion de Paul

Chers frères et sœurs, 

La catéchèse d'aujourd'hui sera consacrée à l'expérience que saint Paul fit sur le chemin de Damas et donc sur ce que l'on appelle communément sa conversion. C'est précisément sur le chemin de Damas, au début des années 30 du i siècle, et après une période où il avait persécuté l'Eglise, qu'eut lieu le moment décisif de la vie de Paul. On a beaucoup écrit à son propos et naturellement de différents points de vue. Il est certain qu'un tournant eut lieu là, et même un renversement de perspective. Alors, de manière inattendue, il commença à considérer "perte" et "balayures" tout ce qui auparavant constituait pour lui l'idéal le plus élevé, presque la raison d'être de son existence (cf. Ph 3, 7-8). Que s'était-il passé? 

Nous avons à ce propos deux types de sources. Le premier type, le plus connu, est constitué par des récits dus à la plume de Luc, qui à trois reprises raconte l'événement dans les Actes des Apôtres (cf. 9, 1-19; 22, 3-21; 26, 4-23). Le lecteur moyen est peut-être tenté de trop s'arrêter sur certains détails, comme la lumière du ciel, la chute à terre, la voix qui appelle, la nouvelle condition de cécité, la guérison comme si des écailles lui étaient tombées des yeux et le jeûne. Mais tous ces détails se réfèrent au centre de l'événement: le Christ ressuscité apparaît comme une lumière splendide et parle à Saul, il transforme sa pensée et sa vie elle-même. La splendeur du Ressuscité le rend aveugle: il apparaît ainsi extérieurement ce qui était sa réalité intérieure, sa cécité à l'égard de la vérité, de la lumière qu'est le Christ. Et ensuite son "oui" définitif au Christ dans le baptême ouvre à nouveau ses yeux, le fait réellement voir. 

Dans l'Eglise antique le baptême était également appelé "illumination", car ce sacrement donne la lumière, fait voir réellement. Ce qui est ainsi indiqué théologiquement, se réalise également physiquement chez Paul: guéri de sa cécité intérieure, il voit bien. Saint Paul a donc été transformé, non par une pensée, mais par un événement, par la présence irrésistible du Ressuscité, de laquelle il ne pourra jamais douter par la suite tant l'évidence de l'événement, de cette rencontre, avait été forte. Elle changea fondamentalement la vie de Paul; en ce sens on peut et on doit parler d'une conversion. Cette rencontre est le centre du récit de saint Luc, qui a sans doute utilisé un récit qui est probablement né dans la communauté de Damas. La couleur locale donnée par la présence d'Ananie et par les noms des rues, ainsi que du propriétaire de la maison dans laquelle Paul séjourna (cf. Ac 9, 11) le laisse penser. 

Le deuxième type de sources sur la conversion est constitué par les Lettres de saint Paul lui-même. Il n'a jamais parlé en détail de cet événement, je pense que c'est parce qu'il pouvait supposer que tous connaissaient l'essentiel de cette histoire, que tous savaient que de persécuteur il avait été transformé en apôtre fervent du Christ. Et cela avait eu lieu non à la suite d'une réflexion personnelle, mais d'un événement fort, d'une rencontre avec le Ressuscité. Bien que ne mentionnant pas de détails, il mentionne plusieurs fois ce fait très important, c'est-à-dire que lui aussi est témoin de la résurrection de Jésus, de laquelle il a reçu directement de Jésus lui-même la révélation, avec la mission d'apôtre. Le texte le plus clair sur ce point se trouve dans son récit sur ce qui constitue le centre de l'histoire du salut: la mort et la résurrection de Jésus et les apparitions aux témoins (cf. 1 Co 15). Avec les paroles de la très ancienne tradition, que lui aussi a reçues de l'Eglise de Jérusalem, il dit que Jésus mort crucifié, enseveli, ressuscité, apparut, après la résurrection, tous d'abord à Céphas, c'est-à-dire à Pierre, puis aux Douze, puis à cinq cents frères qui vivaient encore en grande partie à cette époque, puis à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et à ce récit reçu de la tradition, il ajoute: "Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis" (1 Co 15, 8). Il fait ainsi comprendre que cela est le fondement de son apostolat et de sa nouvelle vie. Il existe également d'autres textes dans lesquels la même chose apparaît: "Nous avons reçu par lui [Jésus] grâce et mission d'Apôtre" (cf. Rm 1, 5); et encore: "N'ai-je pas vu Jésus notre Seigneur?" (1 Co 9, 1), des paroles avec lesquelles il fait allusion à une chose que tous savent. Et finalement le texte le plus diffusé peut être trouvé dans Ga 1, 15-17: "Mais Dieu m'avait mis à part dès le sein de ma mère, dans sa grâce il m'avait appelé, et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son Fils, pour que moi, je l'annonce parmi les nations païennes. Aussitôt, sans prendre l'avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient les Apôtres avant moi, je suis parti pour l'Arabie; de là, je suis revenu à Damas". Dans cette "auto-apologie" il souligne de manière décidée qu'il est lui aussi un véritable témoin du Ressuscité, qu'il a une mission reçue directement du Ressuscité. 

Nous pouvons ainsi voir que les deux sources, les Actes des Apôtres et les Lettres de saint Paul, convergent et s'accordent sur un point fondamental: le Ressuscité a parlé à Paul, il l'a appelé à l'apostolat, il a fait de lui un véritable apôtre, témoin de la résurrection, avec la charge spécifique d'annoncer l'Evangile aux païens, au monde gréco-romain. Et dans le même temps, Paul a appris que, malgré le caractère direct de sa relation avec le Ressuscité, il doit entrer dans la communion de l'Eglise, il doit se faire baptiser, il doit vivre en harmonie avec les autres apôtres. Ce n'est que dans cette communion avec tous qu'il pourra être un véritable apôtre, ainsi qu'il l'écrit explicitement dans la première Epître aux Corinthiens: "Eux ou moi, voilà ce que nous prêchons. Et voilà ce que vous avez cru" (15, 11). Il n'y a qu'une seule annonce du Ressuscité car le Christ est un. 

Comme on peut le voir, dans tous ces passages Paul n'interprète jamais ce moment comme un fait de conversion. Pourquoi? Il y a beaucoup d'hypothèses, mais selon moi le motif était tout à fait évident. Ce tournant dans sa vie, cette transformation de tout son être ne fut pas le fruit d'un processus psychologique, d'une maturation ou d'une évolution intellectuelle et morale, mais il vint de l'extérieur: ce ne fut pas le fruit de sa pensée, mais de la rencontre avec Jésus Christ. En ce sens, ce ne fut pas simplement une conversion, une maturation de son "moi", mais ce fut une mort et une résurrection pour lui-même: il mourut à sa vie et naquit à une autre vie nouvelle avec le Christ ressuscité. D'aucune autre manière on ne peut expliquer ce renouveau de Paul. Toutes les analyses psychologiques ne peuvent pas éclairer et résoudre le problème. Seul l'événement, la rencontre forte avec le Christ, est la clé pour comprendre ce qui était arrivé; mort et résurrection, renouveau de la part de Celui qui s'était montré et avait parlé avec lui. En ce sens plus profond, nous pouvons et nous devons parler de conversion. Cette rencontre est un réel renouveau qui a changé tous ses paramètres. Maintenant il peut dire que ce qui auparavant était pour lui essentiel et fondamental, est devenu pour lui "balayures"; ce n'est plus un "gain", mais une perte, parce que désormais seul compte la vie dans le Christ. 

Nous ne devons toutefois pas penser que Paul ait été ainsi enfermé dans un événement aveugle. Le contraire est vrai, parce que le Christ ressuscité est la lumière de la vérité, la lumière de Dieu lui-même. Cela a élargi son cœur, l'a ouvert à tous. En cet instant il n'a pas perdu ce qu'il y avait de bon et de vrai dans sa vie, dans son héritage, mais il a compris de manière nouvelle la sagesse, la vérité, la profondeur de la loi et des prophètes, il se l'est réapproprié de manière nouvelle. Dans le même temps, sa raison s'est ouverte à la sagesse des païens; s'étant ouvert au Christ de tout son cœur, il est devenu capable d'un large dialogue avec tous, il est devenu capable de se faire tout pour tous. C'est ainsi qu'il pouvait réellement devenir l'apôtre des païens. 

Si l'on en revient à présent à nous-mêmes, nous nous demandons: qu'est-ce que tout cela veut dire pour nous? Cela veut dire que pour nous aussi le christianisme n'est pas une nouvelle philosophie ou une nouvelle morale. Nous ne sommes chrétiens que si nous rencontrons le Christ. Assurément, il ne se montre pas à nous de manière irrésistible, lumineuse, comme il l'a fait avec Paul pour en faire l'apôtre de toutes les nations. Mais nous aussi nous pouvons rencontrer le Christ, dans la lecture de l'Ecriture Sainte, dans la prière, dans la vie liturgique de l'Eglise. Nous pouvons toucher le cœur du Christ et sentir qu'il touche le nôtre. C'est seulement dans cette relation personnelle avec le Christ, seulement dans cette rencontre avec le Ressuscité que nous devenons réellement chrétiens. Et ainsi s'ouvre notre raison, s'ouvre toute la sagesse du Christ et toute la richesse de la vérité. Prions donc le Seigneur de nous éclairer, de nous offrir dans notre monde de rencontrer sa présence: et qu'ainsi il nous donne une foi vivace, un cœur ouvert, une grande charité pour tous, capable de renouveler le monde. 


* * *
Je suis heureux de vous accueillir chers pèlerins francophones. A l’exemple de saint Paul laissez-vous saisir par le Christ. C’est en lui que se trouve le sens ultime de votre vie. Vous aussi, soyez des témoins ardents du Sauveur des hommes, parmi vos frères et vos sœurs. Que Dieu vous bénisse !

SOURCE : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080903_fr.html

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Benoît XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 2 juillet 2008

L'Apôtre Paul, un maître pour notre temps


Chers frères et sœurs, 

Je voudrais entamer aujourd'hui un nouveau cycle de catéchèses, dédié au grand Apôtre saint Paul. C'est à lui, comme vous le savez, qu'est consacrée cette année qui s'étend de la fête liturgique des saints Pierre et Paul du 29 juin 2008 jusqu'à la même fête de 2009. L'apôtre Paul, figure extraordinaire et presque inimitable, mais pourtant stimulante, se présente à nous comme un exemple de dévouement total au Seigneur et à son Eglise, ainsi que de grande ouverture à l'humanité et à ses cultures. Il est donc juste que nous lui réservions une place particulière, non seulement dans notre vénération, mais également dans l'effort de comprendre ce qu'il a à nous dire à nous aussi, chrétiens d'aujourd'hui. Au cours de cette première rencontre, nous voulons nous arrêter pour prendre en considération le milieu dans lequel il vécut et œuvra. Un thème de ce genre semblerait nous conduire loin de notre époque, vu que nous devons nous replacer dans le monde d'il y a deux mille ans. Mais toutefois cela n'est vrai qu'en apparence et seulement en partie, car nous pourrons constater que, sous divers aspects, le contexte socio-culturel d'aujourd'hui ne diffère pas beaucoup de celui de l'époque. 

Un facteur primordial et fondamental qu'il faut garder à l'esprit est le rapport entre le milieu dans lequel Paul naît et se développe et le contexte global dans lequel il s'inscrit par la suite. Il provient d'une culture bien précise et circonscrite, certainement minoritaire, qui est celle du peuple d'Israël et de sa tradition. Dans le monde antique et particulièrement au sein de l'empire romain, comme nous l'enseignent les spécialistes en la matière, les juifs devaient correspondre à environ 10% de la population totale; mais ici à Rome, vers la moitié du I siècle, leur nombre était encore plus faible, atteignant au maximum 3% des habitants de la ville. Leurs croyances et leur style de vie, comme cela arrive encore aujourd'hui, les différenciaient nettement du milieu environnant; et cela pouvait avoir deux résultats: ou la dérision, qui pouvait conduire à l'intolérance, ou bien l'admiration, qui s'exprimait sous diverses formes de sympathie comme dans le cas des "craignants Dieu" ou des "prosélytes", païens qui s'associaient à la Synanogue et partageaient la foi dans le Dieu d'Israël. Comme exemples concrets de cette double attitude nous pouvons citer, d'une part, le jugement lapidaire d'un orateur tel que Cicéron, qui méprisait leur religion et même la ville de Jérusalem (cf. Pro Flacco, 66-69) et, de l'autre, l'attitude de la femme de Néron, Popée, qui est rappelée par Flavius Josèphe comme "sympathisante" des Juifs (cf. Antiquités juives 20, 195.252; Vie 16), sans oublier que Jules César leur avait déjà officiellement reconnu des droits particuliers qui nous ont été transmis par l'historien juif Flavius Josèphe (cf. ibid. 4, 200-216). Il est certain que le nombre de juifs, comme du reste c'est le cas aujourd'hui, était beaucoup plus important en dehors de la terre d'Israël, c'est-à-dire dans la diaspora, que sur le territoire que les autres appelaient Palestine. 

Il n'est donc pas étonnant que Paul lui-même ait été l'objet de la double évaluation, opposée, que nous avons évoquée. Une chose est certaine: le particularisme de la culture et de la religion juive trouvait sans difficulté place au sein d'une institution aussi omniprésente que l'était l'empire romain. Plus difficile et plus compliquée sera la position du groupe de ceux, juifs ou païens, qui adhéreront avec foi à la personne de Jésus de Nazareth, dans la mesure où ceux-ci se distingueront aussi bien du judaïsme que du paganisme régnant. Quoi qu'il en soit, deux facteurs favorisèrent l'engagement de Paul. Le premier fut la culture grecque ou plutôt hellénistique, qui après Alexandre le Grand était devenue le patrimoine commun de l'ouest méditerranéen et du Moyen-Orient, tout en intégrant en elle de nombreux éléments des cultures de peuples traditionnellement jugés barbares. A cet égard, l'un des écrivains de l'époque affirme qu'Alexandre "ordonna que tous considèrent comme patrie l'œkoumène tout entier... et que le Grec et le Barbare ne se différencient plus" (Plutarque De Alexandri Magni fortuna aut virtute, 6.8). Le deuxième facteur fut la structure politique et administrative de l'empire romain, qui garantissait la paix et la stabilité de la Britannia jusqu'à l'Egypte du sud, unifiant un territoire aux dimensions jamais vues auparavant. Dans cet espace, il était possible de se déplacer avec une liberté et une sécurité suffisantes, en profitant, entre autres, d'un système routier extraordinaire, et en trouvant en chaque lieu d'arrivée des caractéristiques culturelles de base qui, sans aller au détriment des valeurs locales, représentaient cependant un tissu commun d'unification vraiment super partes, si bien que le philosophe juif Philon d'Alexandrie, contemporain de Paul, loue l'empereur Auguste car "il a composé en harmonie tous les peuples sauvages... en se faisant le gardien de la paix" (Legatio ad Caium, 146-147). 

La vision universaliste typique de la personnalité de saint Paul, tout au moins du Paul chrétien après l'événement du chemin de Damas, doit certainement son impulsion de base à la foi en Jésus Christ, dans la mesure où la figure du Ressuscité se place désormais au-delà de toute limitation particulariste; en effet, pour l'apôtre "il n'y a plus ni juif ni païen, il n'y a plus esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus" (Ga 3, 28). Toutefois, la situation historique et culturelle de son époque et de son milieu ne peut elle aussi qu'avoir influencé ses choix et son engagement. Certains ont défini Paul comme l'"homme des trois cultures", en tenant compte de son origine juive, de sa langue grecque, et de sa prérogative de "civis romanus", comme l'atteste également le nom d'origine latine. Il faut en particulier rappeler la philosophie stoïcienne, qui dominait à l'époque de Paul et qui influença, même si c'est de manière marginale, également le christianisme. A ce propos, nous ne pouvons manquer de citer plusieurs noms de philosophes stoïciens comme Zénon et Cléanthe, et ensuite ceux chronologiquement plus proches de Paul comme Sénèque, Musonius et Epictète: on trouve chez eux des valeurs très élevées d'humanité et de sagesse, qui seront naturellement accueillies par le christianisme. Comme l'écrit très justement un chercheur dans ce domaine, "la Stoa... annonça un nouvel idéal, qui imposait en effet des devoirs à l'homme envers ses semblables, mais qui dans le même temps le libérait de tous les liens physiques et nationaux et en faisait un être purement spirituel" (M. Pohlenz, La Stoa, I, Florence 1978, pp. 565sq). Que l'on pense, par exemple, à la doctrine de l'univers entendu comme un unique grand corps harmonieux, et en conséquence à la doctrine de l'égalité entre tous les hommes sans distinctions sociales, à l'équivalence tout au moins de principe entre l'homme et la femme, et ensuite à l'idéal de la frugalité, de la juste mesure et de la maîtrise de soi pour éviter tout excès. Lorsque Paul écrit aux Philippiens: "Tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d'être aimé et honoré, tout ce qui s'appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le à votre compte" (Ph 4, 8), il ne fait que reprendre une conception typiquement humaniste propre à cette sagesse philosophique. 

A l'époque de saint Paul, était également en cours une crise de la religion traditionnelle, tout au moins dans ses aspects mythologiques et également civiques. Après que Lucrèce, déjà un siècle auparavant, avait de manière polémique affirmé que "la religion a conduit à tant de méfaits" (De rerum natura, 1, 101), un philosophe comme Sénèque, en allant bien au-delà de tout ritualisme extérieur, enseignait que "Dieu est proche de toi, il est avec toi, il est en toi" (Lettres à Lucilius, 41, 1). De même, quand Paul s'adresse à un auditoire de philosophes épicuriens et stoïciens dans l'Aréopage d'Athènes, il dit textuellement que "Dieu... n'habite pas les temples construits par l'homme... En effet, c'est en lui qu'il nous est donné de vivre, de nous mouvoir, d'exister" (Ac 17, 24.28). Avec ces termes, il fait certainement écho à la foi juive dans un Dieu qui n'est pas représentable en termes anthropomorphiques, mais il se place également sur une longueur d'onde religieuse que ses auditeurs connaissaient bien. Nous devons, en outre, tenir compte du fait que de nombreux cultes païens n'utilisaient pas les temples officiels de la ville, et se déroulaient dans des lieux privés qui favorisaient l'initiation des adeptes. Cela ne constituait donc pas un motif d'étonnement si les réunions chrétiennes (les ekklesíai), comme nous l'attestent en particulier les lettres pauliniennes, avaient lieu dans des maisons privées. A cette époque, du reste, il n'existait encore aucun édifice public. Les réunions des chrétiens devaient donc apparaître aux contemporains comme une simple variante de leur pratique religieuse plus intime. Les différences entre les cultes païens et le culte chrétien ne sont pourtant pas de moindre importance et concernent aussi bien la conscience de l'identité des participants que la participation en commun d'hommes et de femmes, la célébration de la "cène du Seigneur" et la lecture des Ecritures. 

En conclusion, de cette rapide vue d'ensemble du milieu culturel du premier siècle de l'ère chrétienne il ressort qu'il n'est pas possible de comprendre comme il se doit saint Paul sans le placer sur la toile de fond, aussi bien juive que païenne, de son temps. De cette manière, sa figure acquiert une force historique et idéale, en révélant à la fois les points communs et l'originalité par rapport au milieu. Mais cela vaut également pour la christianisme en général, dont l'apôtre Paul est un paradigme de premier ordre, dont nous avons encore tous beaucoup à apprendre. Tel est l'objectif de l'Année paulinienne : apprendre de saint Paul, apprendre la foi, apprendre le Christ, apprendre enfin la route d'une vie juste. 

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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier ceux de l’École Notre Dame de Lourdes de Paris et du Collège Saint François de Sales de Dijon, et les membres de l’Association Charles de Foucauld de la Principauté de Monaco. Avec ma Bénédiction apostolique.


SOURCE : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080702_fr.html

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Benoît XVI
Audience générale, 7 juin 2006
A Jésus qui demande : "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui
suis-je ?", Pierre répond : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant !" (Mt 16, 15-16). En réponse, Jésus prononce alors la déclaration solennelle qui définit, une fois pour toutes, le rôle de Pierre dans l'Eglise : "Et moi, je te le déclare: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise... Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux" (Mt 16, 18-19).
Les trois métaphores auxquelles Jésus a recours sont en elles-mêmes très claires : Pierre sera le fondement rocheux sur lequel reposera l'édifice de l'Eglise ; il aura les clefs du Royaume des cieux pour ouvrir ou fermer à qui lui semblera juste ; enfin, il pourra lier ou délier, au sens où il pourra établir ou interdire ce qu'il considérera nécessaire pour la vie de l'Eglise, qui est et qui demeure au Christ. Elle est toujours l'Eglise du Christ, et non de Pierre. C'est ainsi qu'est décrit par des images d'une évidence plastique ce que la réflexion successive appellera le "primat de juridiction".

351

Benoît XVI
Audience générale, 18 octobre 2006, §6
Pour conclure, nous voulons également rappeler celui qui après la Pâque fut élu à la place du traître. Dans l'Eglise de Jérusalem deux personnes furent proposées par la communauté et ensuite tirées au sort : "Joseph Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias" (Ac 1, 23). Ce dernier fut précisément élu et ainsi "associé aux onze Apôtres" (Ac 1, 26). Nous ne savons rien de lui, si ce n'est qu'il avait été lui aussi témoin de toute la vie terrestre de Jésus (cf. Ac 1, 21-22), lui demeurant fidèle jusqu'au bout. A la grandeur de sa fidélité s'ajouta ensuite l'appel divin à prendre la place de Judas, comme pour compenser sa trahison. Nous pouvons en tirer une dernière leçon : même si dans l'Eglise ne manquent pas les chrétiens indignes et traîtres, il revient à chacun de nous de contrebalancer le mal qu'ils ont accompli par notre témoignage limpide à Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur.

325

Benoît XVI
Audience générale, 4 avril 2007, §3
Pour revivre avec une plus grande participation la Passion du Rédempteur, la tradition chrétienne a donné vie à de multiples manifestations de piété populaire, parmi lesquelles les célèbres processions du Vendredi Saint avec les rites suggestifs qui se répètent chaque année. Mais il y a un pieux exercice, celui du Chemin de Croix (Via Crucis), qui nous offre au cours de toute l'année la possibilité d'imprimer toujours plus profondément dans notre âme le mystère de la Croix, d'aller avec le Christ sur ce chemin, et de nous conformer ainsi intérieurement à Lui. Nous pourrions dire que le Chemin de Croix nous enseigne, pour reprendre une expression de saint Léon le Grand, à « regarder avec les yeux du cœur Jésus crucifié, de manière à reconnaître dans sa chair notre propre chair » (Disc. 15 sur la Passion du Seigneur). Et c'est précisément là que se trouve la véritable sagesse du chrétien, que nous voulons apprendre en suivant le Chemin de Croix, justement le Vendredi saint au Colisée.

144

Benoît XVI
Audience générale, 30 août 2006
En poursuivant la série de portraits des douze Apôtres, que nous avons commencée il y a quelques semaines, nous nous arrêtons aujourd'hui sur Matthieu. (...)
Son nom juif signifie "don de Dieu". Le premier Évangile canonique, qui porte son nom, nous le présente dans la liste des Douze avec une qualification bien précise : "le publicain" (Mt 10, 3). De cette façon, il est identifié avec l'homme assis à son bureau de publicain, que Jésus appelle à sa suite : "Jésus, sortant de Capharnaüm, vit un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de publicain. Il lui dit : "Suis-moi". L'homme se leva et le suivit" (Mt 9, 9). Marc (cf. 2, 13-17) et Luc (cf. 5, 27-30) racontent eux aussi l'appel de l'homme assis à son bureau de publicain, mais ils l'appellent "Levi". Pour imaginer la scène décrite dans Mt 9, 9, il suffit de se rappeler le magnifique tableau du Caravage, conservé ici, à Rome, dans l'église Saint-Louis-des-Français. (...)
... Matthieu répond immédiatement à l'appel de Jésus : "il se leva et le suivit". La concision de la phrase met clairement en évidence la rapidité de Matthieu à répondre à l'appel. Cela signifiait pour lui l'abandon de toute chose, en particulier de ce qui lui garantissait une source de revenus sûrs, même si souvent injuste et peu honorable. De toute évidence, Matthieu comprit qu'être proche de Jésus ne lui permettait pas de poursuivre des activités désapprouvées par Dieu. On peut facilement appliquer cela au présent : aujourd'hui aussi, il n'est pas admissible de rester attachés à des choses incompatibles avec la "sequela" de Jésus, comme c'est le cas des richesses malhonnêtes. A un moment, Il dit sans détour : "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi" (Mt 19, 21). C'est précisément ce que fit Matthieu : il se leva et le suivit ! Dans cette action de "se lever", il est légitime de lire le détachement d'une situation de péché et, en même temps, l'adhésion consciente à une nouvelle existence, honnête, dans la communion avec Jésus.


Jésus disait à ses disciples : "Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai Aimés." (Jn 15, 12)